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Travail dissimulé : quels risques pour l’entreprise ?

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22/5/2020
Travail dissimulé : quels risques pour l’entreprise ?
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Le travail dissimulé, auparavant appelé « travail clandestin » consiste en une dissimulation frauduleuse d’une activité économique, laquelle peut prendre plusieurs formes d’agissements illicites.

L’évaluation chiffrée du travail illégale s’avère très complexe tant les agissements demeurent occultes. Toutefois, une estimation établie par l’INSEE révèle que le coût économique et social du travail illégal en France atteindrait 4 % du produit intérieur brut et 3 à 15% en Europe.

Il s’agit d’un phénomène qui prend de l’ampleur et qui est combattu en France, par un encadrement strict des agissements constitutifs du travail dissimulé. Et en Europe notamment par la protection des travailleurs détachés.

  

Typologie des comportements caractéristiques du travail dissimulé

Afin de lutter efficacement contre le travail illégal, le Code du travail sanctionne différents types de comportements constitutifs d’infractions.

C’est l’emploi ou l’exercice de l’activité qui est sciemment dissimulé :

  • dissimulation d’activité,
  • dissimulation d’emploi salarié : il s’agit de se soustraire à l’accomplissement de la déclaration préalable d’’embauche ; de ne pas fournir au salarié un bulletin de salaire ou d’y mentionner un nombre d’heures inférieur au nombre d’heures effectivement accomplies ; de se soustraire aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales,
  • le fait de se soustraire aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales,
  • délit de marchandage de main d’œuvre consistant en une fourniture illégale de main d’œuvre dans un but lucratif. Le salarié ainsi prêté est privés de toutes les garanties légales en matière d’embauche et de licenciement et d’une couverture sociale adéquate,
  • prêt illicite de main-d’œuvre consistant ayant pour objet le prêt de main-d’œuvre en dehors de la réglementation sociale,

Ces pratiques portent atteinte au marché de l’emploi et font partie des agissements constitutifs d’une concurrence déloyale entre entreprise et d’une concurrence sociale déloyale.

  • non-respect des conditions de recours au travail temporaire ou au contrat à durée déterminée ;
  • emploi d’un étranger ne se trouvant pas en possession d’une autorisation de travail ;
  • cumul irrégulier d’emplois,
  • fausse déclaration pour obtenir des revenus de remplacement.

Par ailleurs, notons qu’une attention particulière doit être accordée à trois formes d’activités : la sous-traitance (obligation d’accomplissement des formalités déclaratives obligatoires et délivrance de l’attestation de vigilance datant de moins de six mois), la collaboration avec des auto-entrepreneurs (absence de relation de salariat, absence d’exclusivité et absence de rapport hiérarchique) et l’embauche de stagiaires (exigence d’une convention de stage).

Le délit de travail dissimulé commis par de nombreuses Entreprises fragilise donc à la fois l’économie et les travailleurs qui acceptent de faire l’objet de telles pratiques illégales.

   

Le durcissement des sanctions du travail dissimulé infligées à l’employeur

Dans son rapport de 1997 sur « La verbalisation du travail illégal », la Délégation interministérielle de lutte contre le travail illégal affirmait déjà que « contrairement à ce que suggère l’expression impropre de travail clandestin – devenu travail dissimulé en application de la loi du 11 mars 1997 –, ce délit ne peut être relevé à l’encontre du salarié non déclaré par son employeur. Victime de la dissimulation de son emploi organisée par ce dernier, le salarié ne peut être tenu pour responsable ou coresponsable »

Le salarié qualifié de « clandestin » – instrumentalisé au profit d’une politique économique de l’entreprise – apparaît donc clairement comme la victime du travail illégal.

Pour combattre le fléau économique et social que provoque le travail dissimulé, cette infraction, qui était auparavant classée dans le Code pénal parmi les contraventions, est devenu un délit.

D’un point de vue pénal, les dispositions du Code du travail prévoient que les faits de dissimulation d’activité, de dissimulation d’emploi salarié ou de recours volontaire au travail dissimulé, en tant qu’infractions intentionnelles, sont punis de trois ans d’emprisonnement et d’une amende de 45 000 euros.

La peine est portée à 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende lorsqu’elle concerne un mineur, une personne vulnérable ou en état de dépendance apparent, et à 10 ans et 100.000 € d’amende si les faits sont commis en bande organisée.

Ces peines sont aggravées en cas d’emploi dissimulé d’un mineur soumis à l’obligation scolaire.

Des peines complémentaires sont prévues : interdictions, confiscations ou privations de droits, affichage ou diffusion de la décision prononcée.

Tant les personnes physiques, appelées donneurs d’ordre que les personnes morales sont pénalement responsables.

Les autorités compétentes pour rechercher la commission des infractions de travail dissimulé sont les suivantes :

  • les agents de contrôle de l’inspection du travail,
  • les officiers et agents de police judiciaire,
  • les agents des impôts et des douanes,
  • les agents des organismes de sécurité sociale et des caisses de mutualité sociale agricole agréés à et assermentés,
  • les officiers et les agents assermentés des affaires maritimes,
  • les fonctionnaires des corps techniques de l’aviation civile commissionnés à cet effet et assermentés,
  • les fonctionnaires ou agents de l’État chargés du contrôle des transports terrestres ;
  • les agents de l’institution de l’article L. 5312-1 chargée de la prévention des fraudes, agréés et assermentés à cet effet.

Les infractions aux interdictions du travail dissimulé sont constatées au moyen de procès-verbaux qui font foi jusqu’à preuve du contraire. Ces procès-verbaux sont transmis directement au procureur de la République.

Le délit de travail dissimulé est une infraction instantanée de sorte que le point de départ du délai de prescription de l’action publique est fixé au jour où la relation de travail prend fin (Cass. crim., 17 mars 2015, n° 13-87.950)

Si le travail dissimulé est sanctionné civilement, c’est le droit pénal du travail qui permet la mise en œuvre d’une lutte efficace contre le développement croissant du travail illégal.

Il est donc prévu qu’en cas de rupture du contrat de travail, quelque soit la cause de la rupture de la relation de travail, si la preuve d’une situation de travail dissimulé a été rapportée par le salarié notamment par dissimulation de l’accomplissement de ses heures supplémentaires (en cas de dissimulation partiel du temps de travail : Cass. soc., 7 novembre 2006, n° 05-40.197) ou par l’absence de la réalisation des formalités préalables à l’embauche, l’employeur sera condamné à verser une indemnité forfaitaire correspondant à six mois de salaires, non soumise à cotisations sociales(Cass. soc., 20 févr. 2008, n° 06-44.964).

Le droit civil et le droit pénal se combinent donc pour une lutte efficace et efficiente contre les agissements illicite des Entreprises.

  

L’exemple des travailleurs détachés : le renforcement de la lutte contre le travail illégal par l’Union européenne

Le détachement d’un travailleur se réalise dans le cadre d’un contrat de prestation de service internationale conclu par l’entreprise employant le salarié avec une entreprise ou une entité publique d’un autre État membre.

En matière de travail détaché en France et dans l’Union européenne, le salarié doit être assujetti à la législation de l’État d’origine préalablement au détachement.

En matière de protection sociale, les règles relatives au détachement des salariés sont définies par le règlement européen n° 883/2004 de coordination des systèmes de sécurité sociale et son règlement d’application n° 987/2009.

Par dérogation au principe de territorialité, les travailleurs détachés dans un autre État membre à titre temporaire restent soumis pendant 24 mois au régime de sécurité sociale de l’État dans lequel ils exercent habituellement leur activité substantielle.

La directive d’exécution 2014/67/EU du 15 mai 2014, complétant la directive 96/71/CE a marqué volonté des Etats membres de l’Union européenne de renforcer la protection des travailleurs détachés et prévoit une coordination accrue entre les autorités et les organismes compétents ainsi qu’une coopération au niveau des pays de l’Union.

En effet, il a été recensé diverses formes de fraudes constitutives de travail dissimulé en matière de détachement des travailleurs :

  • omission des formalités déclaratives et défaut de déclaration de détachement auprès de l’inspection du travail ;
  • le non-respect des règles attachées au « noyau dur » de droits garantis aux travailleurs détachés : salaire minimum, paiement du salaire, durée du travail, repos, examen médical, congés, libertés individuelles et collectives, conditions d’assujettissement aux caisses de congés, travail illégal ;
  • fraude à l’établissement qui prend la forme de travail dissimulé, de prêt illicite de main-d’œuvre ou de marchandage, conditions d’hébergement indignes ;
  • fausse entreprise de travail temporaire étrangère ;
  • non-affiliation des salariés détachés au régime de protection sociale du pays d’origine ;
  • absence de relation salariale dans le pays d’origine préalablement au détachement ;

Ces fraudes sont de plus en plus complexes à appréhender et à sanctionner en raison de divers paramètres tels que les détachements très rapides, la diversité géographique des différents protagonistes ou encore la multiplication des sous-traitants.

Le travail dissimulé pose à l’évidence des questionnements en matière économique mais également en matière de protection des droits les plus fondamentaux d’individus, se trouvant très souvent dans un état de précarité, de vulnérabilité et donc de dépendance, les contraignant à accepter des conditions de travail et de vie contraires à la dignité humaine. Une répression appropriée des entreprises demeure donc la clef de voûte d’une lutte efficace contre le travail dissimulé.

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